Interview avec Frédéric Llop de France 3
Quel parcours d’études avez-vous fait?
Frederic Llop – Je n’ai pas suivi un chemin droit, mon parcours ne correspond pas à la norme. Après un bac scientifique j’ai dû faire le service militaire, qui était à cette époque encore obligatoire. N'ayant aucune expérience photographique, j’ai présenté un dossier pour entrer dans la spécialité photographe et la chance était avec moi – ils m’ont pris. Du coup j’ai fait l’armée sans vraiment la faire. Après 10 ans dans l’armée française comme photographe, j’avais l’impression d’avoir tout vu et j’ai fait 6 mois au CFPJ (Centre de Formation et Perfectionnement des Journalistes) à Paris où j’ai suivi des stages d’écriture pour me spécialiser finalement dans la presse audiovisuelle. Après différentes stations France 3 un peu partout en France où j’effectuais des remplacements, je travaille aujourd’hui à Lyon comme titulaire. Cette station est en même temps une station régionale et locale. Je fais les recherches, le cameraman ainsi que les commentaires et de temps en temps la présentation du journal télévisé.
Pourriez-vous imaginer de changer de media et de travailler pour la radio ou la presse écrite ?
F. Llop – Non, ni l’un ni l’autre ne m’intéresse. Je suis convaincu que l’information passe par l’image et est complétée par le texte. Naturellement ça dépend du reportage, s’il s’agit d’une exposition ou d’un spectacle, c’est clairement l’image qui est en premier plan, s’il s’agit d’une affaire judiciaire c’est le texte qui compte plus que l’image. Je ne suis pas fait pour faire des documentaires, le format où je me sens à l’aise c’est le reportage court d’une durée de 1 à 3 minutes.
Parlant des images, que pensez-vous des images qui montrent la violence, diffusées par la télé ?
F. Llop – Ce n’est pas une question facile à répondre, mais oui, je pense qu’il y a des limites éthiques qui doivent être respectées par les medias. Ensuite ce n’est pas une solution de ne montrer aucune violence, ça créerait un manque dans l’information. Je considère que la manière dont France 3 gère cette problématique est attentive. On montre des images violentes quand c’est vraiment une plus-value pour l’information, mais jamais sans prévenir le spectateur auparavant.
Où prenez-vous toutes ces actualités, les images comprises ?
F. Llop – Déjà on travaille avec les agences de presse comme Reuters ou AFP. Sinon on appelle la police et la gendarmerie plusieurs fois par jour, quelquefois ils nous en donnent, quelquefois il faut chercher l’information autre part. Ça peut aussi arriver qu’on se mette en contact avec nos collègues de la presse écrite ou de la radio pour leur demander plus de détails. Mais ce qui devient de plus en plus fréquent, c’est que les gens filment avec leur portable ce qui se passe dans la rue et nous l’envoient. Une fois qu’on a reçu une telle information il faut la vérifier, la déontologie du journaliste impose de vérifier cette information d’une autre source différente (le terme est « information concordante d’au moins deux sources différentes ») sinon, on ne doit pas la diffuser.
Où situeriez-vous France3 dans la politique ?
F. Llop – Ce qui se dit de France 3, c’est qu’il y a beaucoup de « gens de gauche » qui y travaillent. Personnellement, je pense que c’est par « idéal » (gauche « humaniste »), mais il arrive parfois, que cela glisse vers « l’idéologie » et que certains reportages alors deviennent « gauche partisane «. Sans être « Sarkozyste » je doute quelquefois si un tel placement n’est pas contre l’esprit d’un journalisme indépendant. À mon avis un journaliste devrait observer le paysage politique avec du recul, sans prendre parti.
Avez-vous déjà vécu une situation où vous avez eu peur ?
F. Llop - Oui, notamment en octobre dernier où il y a eu les manifestations contre l’âge de la retraite à Lyon. Là on s’est retrouvé avec notre camera entre les jeunes et la police. J’ai senti les cailloux voler au dessus de ma tête vers la police, ce n’était pas du tout une situation agréable.
Se retrouver dans des situations aussi chaudes, ça arrive souvent ou comment faut-il s’imaginer une journée plus ordinaire dans votre profession ?
F. Llop – Ma journée commence à 9h avec une conférence où on discute pendant environ 30 minutes des contenus du journal, une fois les missions distribuées, c’est parti pour le terrain. C’est maintenant que le vrai travail commence, on téléphone, on prend rendez-vous et on part pour filmer sur le lieu. Pour les reportages du journal de midi les équipes doivent rentrer avant 11h afin d'avoir assez de temps pour le montage. Dans l’idéal, pour 1 minute de reportage il faut environ 1 heure de montage. Mais il est déjà arrivé que l’on ait que 20 ou 30 minutes ! Ou encore, que 20 minutes avant le journal il y ait eu une explosion dans un hôtel juste à côté, du coup on a envoyé une équipe avec la camera et un camion pour la liaison satellite et on a fait un reportage en direct.
Aimez-vous bien cette sorte de stress ?
F. Llop – Non (il sourit), je n’aime pas trop les situations stressantes. C’est vrai, une fois que la situation est gérée, c’est agréable, on est content avec le résultat, mais la situation elle-même, quand on ne sait pas encore si ça va marcher ou pas, n’est pas du tout amusante. Je dois avouer en revanche que certains de mes confrères aiment ça !
Quels genres de reportage préférez-vous ?
F. Llop – Moi personnellement, j’aime bien les news positives. En général elles sont plutôt négatives, du coup ça change un peu de montrer quelque chose qui fait sourire les gens. Mais mon coup de cœur est resté le sujet scientifique. C’est un vrai défi de préparer un sujet complexe afin qu’il soit compréhensible pour la grande masse. Pour cette sorte de reportage j’investis un peu plus de temps, ça peut prendre 3 à 4 semaines. Il faut que le scientifique m’explique son sujet, que je le comprenne, que je le simplifie de manière à ce qu’il soit compréhensible pour les spectateurs, tout en restant correct sur le plan scientifique.
Existe-il un reportage dont vous êtes spécialement fier ?
F. Llop – Mhhm, à France3 en région, nous faisons à peu près 200 reportages par an, par conséquent il est difficile de mettre en place un classement. Néanmoins il y a un reportage pour lequel j’ai gagné un prix, il s’agit du portrait d’une personne obèse. Je l’ai accompagné dans un collège où il a parlé de sa santé, les réactions des enfants ont été impressionnantes.
Comment les gens réagissent si vous dites que vous êtes journaliste ?
F. Llop – ça reste une profession qui est assez appréciée par les Français. Par contre le côté admiratif est fini, pour les jeunes qui ont grandi avec les medias la fascination de la télé a disparu. Mais pour moi la célébrité n’a jamais été quelque chose de prioritaire, même s'il y a des collègues qui aiment bien ce côté de leur profession.
Parlons de la vie familiale, est-elle conciliable avec votre vie professionnelle (des horaires flexibles inclus) ?
F. Llop – Le fait que je rentre souvent assez tard le soir et mes horaires flexibles rendent la vie familiale assez compliquée. J’ai 2 jours de congé par semaine, mais je ne suis pas forcément libre le weekend. En rentrant il me reste parfois juste le temps de donner des bises à mes deux filles, qui sont déjà prêtes pour le lit. Mais j’ai la chance d’être marié avec une ex-journaliste qui comprend le métier et ses côtés contraignants.
Une dernière question : choisiriez-vous encore une fois cette profession ?
F. Llop – (avec conviction) Oui, sans aucune hésitation. Ça fait 16 ans que je fais ce métier et jamais, en filmant un reportage, en menant une interview, je n'ai découvert un métier qui m’intéressait plus que le mien. Et j’ai rencontré plein de gens intéressants !
Nadja Leuenberger